M.L.B - Quel est le rôle de la lumière qui est sans doute le trait le plus caractéristique de votre peinture aujourd'hui ?
R.C. - Je ne sais pas. Est-il possible d’éclairer la lumière ? Quand bien même je vous proposerai de décrire ce qui se passe lorsque je travaille, la définition de ce phénomène (ce“qui-se-passe”) relèverait encore d’une lumière étrangère qui, prétendant titrer celui-ci comme on mesure le degré d’alcool d’un vin, parlerait trop haut, fort, etc. : trop.
S’il faut malgré tout dire un mot du comment, des actes, de la mise en oeuvre, vous me permettrez d’employer cette métaphore : lorsque quelque chose apparaît, se montre (comme étant “quelque chose”, une chose-se-hissant par soi-même à cette sorte de dignité que confère le visible), je lui oppose une résistance sans le nier ; après-coup, il ne serait pas inexact de dire que j’ai caché ce coup de force des passions de se faire voir et de voir. De ce point de vue, les couches de glacis qui constituent mes tableaux seraient autant de “voiles”.
M.L.B – Peut-on dire alors que peindre, pour vous, c’est vous abandonner à une apparition providentielle de la forme ?
R.C. - A propos de lumière et de passivité, je me trouvais il y peu devant un Rothko, qui quoiqu’on en dise parfois, me paraît tenir de Malévitch plutôt que de ses contemporains abstraits. En le regardant, j’ai songé à un dialogue entre ses “plans”, tel que celui-ci :
- Maintenant, ne bougez plus, ne cherchez plus, cessez de promener votre regard ; la terre, le paysage, le monde ont déserté. Vous n’avez qu’à être !
- Faut voir ...
- Il n’y a rien à voir quand ça commence, sinon la lumière elle-même !
- Mais ... pour commencer, il faut bien que j’aie quelque chose, au minimum, les conditions de possibilité de cette expérience, d’une relation...
M’abandonner ? Certes non, s’il s’agit de me démettre de mes intuitions sensibles confirmées par le travail quotidien, au profit des apparitions (par elles, à la “forme” héritée de la métaphysique) ou, en d’autres termes, de la fabrication des hypostases. Exercer ce métier, c’est précisément lutter contre la soumission aux voies ordinaires du (sens du) regard, qui trouvent leur fin et leur triomphe dans l’invisible.
Comment alors, de la confusion, de la fluence des fonds, “sortir” ou “construire” une singularité irréductible ? Sans souci jusqu’à ce jour de le penser, je peins au naturel, sans doute dans l’esprit d’un processus, d’un procès de rapports probables, et me tiens aussi éloigné que possible des identités qui se donnent - peuvent s’imposer - comme substantielles.
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