Georges Brunon (1925-2016) Le marcheur de la nuit
Première exposition de l'année :
Georges Brunon (1925-2016)
Le marcheur de la nuit
08 février - 07 mars 2024
Vernissage le jeudi 08 février à partir de 18h30
en présence de la famille du peintre
C’est lors d’un dimanche de juin que j’ai découvert l’atelier du peintre Georges Brunon en Puisaye, à moins de deux heures de Paris. Visite organisée par ses filles, Danielle et Marie et sur la recommandation fraternelle de Jacqueline de Roux. J’ai rencontré Georges quelques années avant son décès en 2016, figure des peintres de Paris, connu de tous.
Je me suis rendu à plusieurs reprises dans son atelier du 13e arrondissement. Il était l’animateur de rencontres, tels les rendez-vous de Sainte Colombe ou de la Contrescarpe. Je garde le souvenir vif et feutré d’échanges passionnés autour de la peinture. S’y réunissaient, un peu à la manière des Salons d’autrefois, peintres, sculpteurs, écrivains, philosophes, connaisseurs et amoureux de l’art. J’étais épaté de savoir qu’il avait bien connu entre autres le poète André Salmon, figure du Montparnasse de la grande époque et premier historien du quartier de l’Art Moderne.
Arbres, circa 1996, huile
Entouré de ses toiles et partageant un bon verre de vin, certains mots revenaient sans cesse, telles de solides fondations : le « primordial », le « vivant », la « spirale », les « formes de la nature », « la question du peintre »…
Gouaches des années 1950
Georges faisait partie d’une génération d’artistes ayant subi la domination d’un art contemporain officiel bannissant la peinture au profit du conceptuel. Il a été le témoin du passage d’un monde à un autre : celui de la continuité de l’histoire et de la transmission du métier, à l’apparition incontrôlée de toutes sortes de définitions formelles dont on garde finalement aujourd’hui si peu de fruits. Pendant près d’un demi-siècle, on a dit que la peinture était morte, relayant au rang de has been les derniers mohicans du pinceau. Georges résistait aux assauts de la désincarnation dans un royaume de murs. À l’avant-garde de la lutte. En dehors et en dedans, il a fait son œuvre sans jamais rien lâcher. Un peintre est un peintre.
Et dans ce chemin de traverse, ce pas de côté vis-à-vis d’une époque qui cherche à écraser plutôt qu’à élever, il a exploré le fond infini du personnel, de l’intime. La peinture est un chemin dans les obscurités et lumières de l’âme. Chaque toile devenant un nouvel espace où se fait le voyage intérieur. Georges évoquait régulièrement le rapport du peintre à sa question profonde, cette quête intime de la source cachée. Comme un sourcier tenu par le désir ardent de l’inconnu, de l’originel, de se rendre au point de jaillissement. Aller retrouver le lieu d’où part le souffle et faire face à la création elle-même, la force de vie.
Il y a quelque chose de souterrain dans la peinture de Georges ; une lumière étrange surgit des tréfonds. Le peintre est un marcheur dans la nuit, arpentant l’intérieur de la terre, muni de son bâton de pèlerin. Dans cette odyssée, il nous donne à voir des présences silencieuses, des créatures en veille, animaux aussi mystérieux que solitaires, formes et couleurs difficiles à nommer. L’homme, le peintre, renoue avec les forces de la nature dans un dialogue de couleurs nocturnes, de bleus, de verts, d’ocres. Dans ces toiles des arbres s’élèvent, les pierres contiennent autant de paroles que de secrets. Ici dans le petit jardin un étang de lumière, et là-bas au loin ces figures et silhouettes qui nous scrutent et nous attendent dans un au-delà de la rive. Paysage sacré d’un réel abandonné. Les tonalités nous enveloppent de chaleur et la lumière vient d’un ailleurs sans âge. Le paysage est intérieur, tout y est de formes arrondies au cœur d’une toile carrée rendu sphère. Est-ce cela le réel ? Une vision de l’autre rive du regard, comme un écho venu de l’autre côté de la toile, le chant ancien de la terre qui raconte sa mémoire. Dans ces toiles le ton est sourd, le rythme est fort, l’œil entend.
Adepte de l’aïkido, union du corps et de l’esprit, Georges était imprégné de culture extrême-orientale. L’importance de se défaire des lourdeurs de soi pour commencer à voir. Par le dessin, expression d’une libération, le peintre aborde la question de l’homme dans l’espace, du trait à la trace, mouvement et gestuelle sur une feuille de papier. L’œuvre de Georges est attachée aux éléments, il puise son inspiration dans les lieux telluriques forts, en témoignent ses points de chutes et ateliers en Auvergne, en Bretagne, en Bourgogne. Et Paris…
Sa peinture, bâtie en matière, est une écorce posée sur les années. Strates et reliefs sédimentent la question originelle du peintre. Une question sans réponse, une quête sans limite, une marche confiante dans l’obscurité des époques.
Gouaches des années 1950
En ce dimanche matin de juin, dans son atelier, on sent que rien n’a bougé. Le peintre n’est plus là mais sa présence demeure. Les objets silencieux sont à leurs places, les œuvres sont bien gardées. Dans l’obscurité de la pièce quelques chauves-souris virevoltent librement de toiles en chevalets. Par le vasistas du toit la lumière du jour et de la lune raconte le passage des heures. Quelques sculptures de granit, héros mythologiques déchus, témoignent des expériences passées. Le grand tableau d’un taureau trône en majesté sur un chevalet. Et sur cette autre toile posée plus loin, un chien, tête baissée, semble porter sur son dos toute l’impuissance du monde, aussi désœuvré que chez Goya.
Atelier du peintre, Paris
Au dehors de la maison, en ce mois de juin, la nature est luxuriante, le petit étang que Georges a peint à plusieurs reprises est bien là. À prendre le temps de scruter sa surface, on devine l’au-délà qui vit de l’autre côté de la pellicule d’eau. Ce monde, Georges l’a vu.
Ce dimanche matin, en compagnie de ses deux filles, de leur amie Anaëlle, de l’éditrice Jacqueline de Roux, après avoir choisi les œuvres de l’exposition, nous avons passé un agréable moment autour du déjeuner. Le vin de Bourgogne était bon. Nous avons parlé de Georges, de sa peinture, des aléas du monde et des histoires d’atelier. Un moment à parler de peinture jusqu’à la laisser nous parler.
D’Auvergne, de Bretagne et de Bourgogne… puis Paris !
À l’Art Vivant !
Mathyeu Le Bal