Invitation
Auguste Clergé (1891-1963)
Les printemps du Montparnasse, les Grands Oubliés
Auguste Clergé
Le chevalier de La Zone
Exposition du 23 mars au 12 juin 2016.
C'est avec bonheur que la Galerie Les Montparnos vous invite au vernissage de l'exposition de l'année le
mercredi 23 mars à partir de 18h30.
Le catalogue de l'exposition en ligne en cliquant sur le lien ci-dessous :
23 Mars - 12 juin 2015. Exposition rétrospective des œuvres du peintre Auguste Clergé (1891 - 1963) "Le Chevalier de La Zone" Mathyeu Le Bal 06.33.38.95.25 contact@galerielesmontparnos.com ...
https://issuu.com/mathyeu/docs/expo_auguste_clerg___paris_2016
Le Chevalier de la Zone
... Tableau pour laissés-pour-compte
Un sens aristocratique de l’art au service du plus pur sentiment populaire
André Salmon
Mettre de la lumière là ou il n’y en a pas.
C’est à l’âge de cinquante ans qu’Auguste Clergé installe son atelier dans la zone. Une cabane de fortune, Porte des Lilas, à deux pas d’un vieux bistrot. Un monde fréquenté par les clochards, les gens du voyage, les marginaux et quelques artistes. Une sorte de hors-là, où quand le peintre vend une toile, il festoie généreusement avec eux tous.
Clergé se sent bien parmi les retirés, comme un animal blessé qui aurait retrouvé sa vraie nature, son jardin. Une pureté pauvre, une pauvreté libre qui laisse le monde extérieur et ses luxes pour un monde intérieur plus étroitement lumineux. L’atelier au centre de la misère, la peinture, la faim... Les odeurs lourdes, les hivers froids et durs, les couleurs de la neige même sale, le vent rude des ruelles, une vue sur les toits de Paris, la ville grande et son centre au loin, très loin.
Parfois apparaît sur tel tableau sombre une touche de rouge vif, pareille à un saignement joyeux. La pauvreté n’est-elle pas le terrain préféré de la grâce ?
La couleur pour unique richesse. Le monde et ses boues accouchant de toiles d’éclat.
Auguste Clergé le peintre du bas-côté, prince d’une peuplade de détachés. Lui, issu des lumières du spectacle et de la ville se retrouve au bord, à peindre entouré des zonards de l’existence.
Mais revenons au début. Tout commence par un serment de trois mots prononcés face à son père au moment de l’adolescence :
''Je serai peintre''.
La famille de Clergé tenait une boutique de taxidermie à Troyes. Notre apprenti avait pour destin tracé de prendre la suite de l’affaire paternelle, mais la perspective d’un tel avenir rebutait l’adolescent que l’art titillait déjà. Son père désavouait avec force l’idée même, et le futur peintre ne cessera d’être frappé dès qu’il était surpris à dessiner.
‘’Non vraiment, un animal, un insecte n’est beau que vivant. Il n’est pas permis de le torturer. On n’aurait pas le droit de me faire couper son cadavre !’’ De la bidoche d’animaux à la peinture il aura donc fallu trois petits mots :
‘’Je serai peintre’’.
Ainsi la liberté parla-t’elle à travers lui, les taloches faisandées de son père n’y changèrent rien. Le jeune avait auparavant été touché par le génie de l’indépendance. Trois mots décisifs qui ouvrent les portes d’un royaume autre, celui des êtres sans influence. Plus de gifles, ni de charognes, juste un dessin à peine esquissé, celui de la peinture...
Il citait Ibsen : ‘’L’homme fort c’est l’homme seul’’. La vie, jongleuse, le conduisit presque naturellement dans un cirque, Clergé devint trapéziste.
Auguste, le clown ... Il y a des prénoms comme ça, qui prédestinent.
L’Auguste, le clown au nez rouge, maquillé de noir, de blanc et de carmin, qui porte une perruque et marche dans de gigantesques chaussures. Maladroit, farceur, il est celui qui donne du fil à retordre aux plans du sage clown blanc. Il fréquente alors ce monde tant aimé des gens du voyage avec ses acrobates, ses funambules, ses dresseurs de fauves... Ceux qui avancent, en équilibre, sur le fil fragile de l’existence. Il y peindra des animaux extraordinaires. Il faut dire qu’il connaissait avec précision leurs défuntes anatomies. La peinture, au don miraculeux, redonne la vie aux vieilles carcasses de son enfance. Mettre des couleurs sur cette mémoire blafarde et ainsi remettre en liberté ces animaux qui se meuvent à tout jamais émouvants dans le tableau. Le jeune sauvage gagne en sauvagerie. Ses peintures abordent le rugissement des tons tendres. L’oeuvre naît là, sous le chapiteau des couleurs.
Quel roulement de tambour que ces toiles et aquarelles sur le cirque ! Les clameurs du public, les yeux illuminés des enfants, les envols des voltigeurs se déployant dans les airs. Un pinceau d’agilité au centre du spectacle. Le réel est circassien, féerique.
À 21 ans, Il épouse Jeanne Garnesson, jeune veuve de 25 ans, ils auront un fils : Jean. Puis la guerre 14-18 éclate. Clergé soldat, peint dans les tranchées avec une brosse à dent et du cirage... Blessé, il est démobilisé en 1916. À son retour de la guerre, il retrouve sa famille. Un soir cependant, il dit à sa femme, le plus naturellement du monde :
‘’Jeanne, je vais peindre une meule au clair de lune... »
Il ne revint jamais.
Peinture, quel étrange animal inapprivoisé que ton Auguste Clergé.
1918, Montparnasse.
Le peintre dès 1910 est l’élève de Cormon à l’école des Beaux-Arts de Paris. Les génies se retrouvent dans les cafés et scellent pour toujours dans le marbre des guéridons l’histoire de ‘’la folle jeunesse’’. Clergé est du premier groupe, celui de Modigliani, de Le Scouëzec - son grand ami - de Kisling, de Kiki, de Mendjizky, Soutine, de Papa Libion, Rappoport, et les autres tant... Il participera dès lors à de nombreuses expositions personnelles et collectives, le plus souvent accompagné de Le Scouëzec. Galerie du Luxembourg (1918), Galerie Barbazanges (1921) ... et bien sûr, régulièrement, dans les trois emblématiques salons (Salon des Tuileries, Salon des Indépendants, Salon d’Automne). À Montparnasse, il vit dans le centre névralgique du quartier : 9 rue Campagne Première en 1918, 59 rue Notre-Dame-des-Champs en 1921, 171 boulevard du Montparnasse en 1924...
En 1919, il crée ‘’La Compagnie des Peintres et Sculpteurs Professionnels’’. Encore une compagnie. Décidément ! Avril 1921, Clergé est l’initiateur d’un événement majeur dans l’histoire du quartier et de l’art moderne. Il organise avec Serge Romoff et Le Scouëzec une grande exposition collective intitulée ‘’Quarante sept artistes exposent au café du Parnasse’'. La préface du catalogue signée par Romoff fait acte de profession de foi de l’Esprit montparno. Moment capital qui semble pourtant aujourd’hui être un chapitre arraché du livre d’Art Moderne, celui de l’art dans les cafés :
‘'Nous avons pris avec mon ami Auguste Clergé l’initiative de réunir quelques camarades pour nous installer dans un café, sans autre prétention que d’ouvrir une porte sur la rue. Pas même une chapelle ! Au café nous passons quelquefois les meilleurs moments de notre vie, nous voulons apporter le meilleur de nous-même : notre art. Nous le soumettons au jugement non seulement des initiés mais de la foule, sans fausse dignité, et sans distinction entre la femme du monde et le cocher de fiacre. Aux passants, la porte est ouverte !''
Serge Romoff.
Parmi les 47 artistes de cette première édition, figuraient : Clergé, Le Scouëzec, Soutine, Van Dongen, Utrillo, Ortiz de Zarate, Loutreuil, Mendjizky, Krémègne, Granovsky et tant d’autres noms inoubliables. Cette exposition eut un retentissement dans le monde entier. Montparnasse devenait l’emblème de l’art vivant, les chefs-d’oeuvre devenaient accessibles à même la rue.
‘’Enfin Clergé vint et le café-musée fut créé’’
Gustave Kahn
‘’De la peinture dans tous les Bistrots !’’,
s’écriait Clergé.
Quelques mois plus tard, cette exposition sera à nouveau montée au Parnasse. Ils seront 120 artistes, les plus grands, au mur de ce petit café du carrefour Vavin. Clergé, véritable Robin des Bois de la peinture, rendant la beauté au peuple. Les plus hautes aspirations de l’esprit accessibles à tous.
1927, vingt-sept grands artistes sont choisis pour peindre les colonnes de la légendaire brasserie La Coupole afin de célébrer l’inauguration de ce lieu si emblématique du Montparnasse. Clergé peindra l’une de ces colonnes, les autres étant confiées aux peintres Jules-Émile Zingg, David Seifert, Louis Latapie, Marie Vassilieff...
Une vie d’artiste tient bien souvent sur un fil, aussi la providence mit-elle Léon Zamaron, célèbre commissaire de police, collectionneur et amateur d’art, sur le chemin de Clergé. Il acquiert un jour 47 toiles d’un coup. Personnage essentiel, il défendra le peintre tant pécuniairement que moralement durant 12 ans. C’est à travers la correspondance entre Zamaron et Clergé que l’on découvre la sensibilité du peintre. Zamaron sera le confident. Une oeuvre se crée seul, il est si important en revanche de rendre hommage aux collectionneurs. Leurs intuitions et leurs engagements auprès des artistes sont souvent vitaux et cela va bien au-delà du commerce de tableaux. Les collectionneurs sont les protecteurs de l’oeuvre, ils en sont les gardiens. Cela dépasse et de loin le simple projet bourgeois d’un souci de décoration intérieure. Il y va tant de fois d’une question d’amitié.
De jours en jours ses liens avec Montparnasse et les grandes foules se délient, Clergé est proche de la nature. Il est d’une spiritualité faisant corps avec le paysage. La rivière, les bois, la Bretagne et ses bords de mer, Huelgoat, les Monts d’Arrée, les terres porteuses de secrets, Aix-en-Provence, Nemours, Espalion, les pêcheurs à Marseille, les voyages... La texture de ses tableaux va alors se rapprocher au plus intime de la matière même des choses : terre, bois, plâtre des murs, rivières, ciels, rugosité, grains, chemins, caillasses...
‘’Comme notre méchant Montparnasse me semble loin, où tout est mesquin et sans bonté, pourtant la nature est bonne... Dans la masse qui travaille il y a encore des sensibilités toutes neuves et des êtres qui n’ont ni trop, ni pas assez de culture pour ne plus savoir aimer une oeuvre sincère.
Il vaut mieux former des primaires en art que de redresser un blasé... C’est la seule raison pour laquelle je dois continuer.’’
Auguste Clergé
Puis vint le temps du Théâtre, en 1920 Clergé rencontre celle qui va devenir sa seconde épouse, Alice Reichen, actrice de la troupe de Georges et Ludmilla Pitoëff. Commencera alors une grande tournée avec la compagnie à travers toute l’Europe de 1920 à 1932. Il dessinera les décors, les costumes, deviendra acteur et peindra tous ces pays traversés. Il se liera d’amitié avec le romancier italien Luigi Pirandello et l’écrivain et critique George Bernard Shaw. Clergé le peintre-acteur, la toile devenue espace scénique, la vie pour décor de l’âme, une vue des coulisses. De chaque lieu nouveau, Clergé écrivait à Zamaron annonçant bonne ou mauvaises nouvelles, mort d’un enfant... Puis naissance en 1926 du petit Claude. Le 15 octobre 1933, Clergé crée à la galerie Barreiro - rue de Seine - ‘’Le Salon Populiste’’ où l’on découvre des oeuvres picturales et littéraires guidées par ce même élan d’indépendance. Le vernissage fut accompagné de châtaignes et de Gaillac doux. Seront présents Michel Simon, Louis-Ferdinand Céline, Charles Vanel, Ludmilla Pitoëff... Les oeuvres exposées mettront en scène le peuple, ses misères et ses vérités, le labeur des braves gens, ouvriers et paysans au travail. Ce salon connaîtra un grand succès durant des années. En 1948, il peindra des fresques pour les salons du parfumeur Roger et Gallet sur le thème de la reine de Saba.
Clergé rencontre alors celle qui sera sa dernière compagne, Colette Chasseigneaux, modèle des peintres et peintre elle-même, elle posa avec sa soeur Solange pour le peintre Pinchus Krémègne. Clergé toujours lié à Alice Reichen accueille à l’atelier son nouveau modèle et élève, mais cette présence imposée à la comédienne instaurera un climat de jalousie difficile. Colette travaillera auprès de lui durant une quinzaine d’années et l’accompagnera jusqu’à la fin. Dernière exposition en 1961 à la galerie Paul Cézanne. Clergé malade, sera hospitalisé à l’Hôpital Laënnec de Paris. Resteront ses ultimes croquis de la salle commune dessinés depuis l’hôpital. Il y décèdera en septembre 1963.
Pour l’anniversaire du centenaire de sa naissance en 1991, Sylviane de La Bouillerie, petite-fille du peintre et l’association Hélios en partenariat avec le conseil général du Finistère organisèrent une importante rétrospective de son oeuvre au Château de Trévarez, au coeur de cette Bretagne qu’il a tant peinte.
Naturaliste, peintre du cirque, peintre décorateur, acteur, Montparno des premières heures, ami du peuple, peintre de la zone, voyageur et aventurier, peintre de la liberté, tel est Auguste Clergé, si plein de bienveillance à l’égard du monde et des hommes, un chevalier aux beautés anarchiques. L’animal est sauvé.
La galerie Les Montparnos, dans le cadre des ‘’Printemps du Montparnasse, les grands oubliés’’ est heureuse de vous convier à l’exposition du peintre Auguste Clergé (1891-1963) du mercredi 23 mars au dimanche 12 juin 2016.
Mathyeu Le Bal
Directeur de la Galerie Les Montparnos