Pascal Pichon, Le Pays où l'on n'arrive jamais

Publié le par LE BAL Mathyeu

Copyright : Ania Winkler / Hans Lucas

Copyright : Ania Winkler / Hans Lucas

Exposition événement

Pascal Pichon

Le Pays où l'on n'arrive jamais

23 mai - 27 juin 2019

Quelles images garde-t-on du temps qui passe ? Celles qui, par un incisif mystère, se gravent dans la mémoire, pareil à une étrange boîte ou caverne précieuse … extraordinaire jardin.

Pourquoi une image plus qu’une autre ? Telle sauvée, arrachée au flot de l’oubli, inscrite pour toujours dans ces profondeurs de nous-mêmes. Image qui nous fait esquisser ici un discret sourire, là verser une larme, à la voir ou non, lorsqu’elle remonte à fleur de notre esprit. Il en est de même des vieilles photographies. Quand a-t-elle été prise, et par qui ? Comment s’en souvenir ? Etait-ce lors d’une fête, d’un moment heureux en famille ? Qui sont ces visages si jeunes que l’on a aimés ou qui nous ont marqués ? Ce paysage, une promenade ; avec qui ? Et d’où vient que cette autre photographie fasse advenir une sensation, fasse parvenir à l’âme la caresse d’un parfum, la saveur d’un plat, les couleurs d’une musique ?

« Image persistante »,  « image retrouvée » ?

Gaspard Hauser, 2017, acrylique sur carton, 22 x 29 cm

Gaspard Hauser, 2017, acrylique sur carton, 22 x 29 cm

Qui n’a pas vécu ce moment, en famille ou entre amis, lorsque l’on ressort de l’étagère de la bibliothèque ce vieil album photo, de l’armoire cette boîte d’acajou ou d’ébène de nacre marqueté ? À tourner les pages au papier de soie ou puisant dans le vrac au milieu des sépias, on s’immerge lentement dans une nostalgie d’où refont surface ces moments qu’on avait cru  irrattrapables. Les clichés, si facettes de nous-mêmes, de notre histoire, ont jauni. Certains êtres à nouveau là, devant nous, ne sont plus. Tous ces moments, heureux ou moins, réapparaissent comme mares ou étangs de ciel bleu, dans le gris épais de la mémoire.

Les Mérots, 2014, acrylique sur toile, 105 x 81 cm

Les Mérots, 2014, acrylique sur toile, 105 x 81 cm

Tourner une à une les pages de l’album comme pour sentir au bout des doigts les années et les heures, frôler les rebords du temps. Que dit de nous cette cotonneuse satisfaction de baigner dans le vague à l’âme des bonheurs passés ? Sont-ce les souvenirs qui reviennent à nous ou nous qui recherchons la douleur douce de revivre un passé comme si rien n’avait passé ?

Mais ici, il s’agit d’autre chose. De peinture, les images sont des tableaux.

 

Gaspard des montagnes, Henri, 2018, acrylique sur carton, 27 x 30 cm

Gaspard des montagnes, Henri, 2018, acrylique sur carton, 27 x 30 cm

Il n’est plus question de la nostalgie du temps qui passe et nous échappe mais la rencontre avec une matière. Et la matière a sa propre volonté. Et du tableau émane une présence qui persiste. Ainsi, imaginons un artiste s’attachant à peindre les souvenirs. Non pas des souvenirs personnels mais la texture de la mémoire elle-même, celle qui touche chacun au plus profond. Peindre jusqu’aux brumes du temps lointain semblable aux brumes des demains incertains et savoir déjà que l’œuvre y offrira intact ses clartés.

Et la matière pour toute éternité ?

A ressentir par la peinture le souvenir des avenirs.

Mare à la Villette, 2016, acrylique sur carton, 17 x 21,5 cm

Mare à la Villette, 2016, acrylique sur carton, 17 x 21,5 cm

Souvent réapparait à mon esprit ce tableau de Monet Effet de vent sur les peupliers, de 1891. Comment la main du peintre fixe pour l’éternité le souvenir clair et précis de ce souffle qui fait se plier les branches et trembler les feuilles dans les arbres. 130 ans après, on en frissonne encore, comme ces peupliers et leur feuillage qui garderont demain toujours intact cet instant porté par le peintre jusqu’à l’intemporel.  Par cet instant saisi, recueillir sur la surface d’une toile l’essence du temps lui-même.

L'atelier, Copyright : Ania Winkler / Hans Lucas

L'atelier, Copyright : Ania Winkler / Hans Lucas

Aucune nostalgie donc quand il est question d’un tableau, fût-ce quand il veut évoquer un souvenir, car il montre tout autre chose que le contenu de la belle boîte à image ou du vieil album de l’étagère, à savoir la trace de quelque chose qui ne meurt pas. Un peu comme si l’éternité pour apparaître fugacement, murmurait au tableau tel instant choisi qu’il s’agirait de peindre et inscrire dans la matière par les couleurs.

L’instant dans le temps de la toile en autoportrait –irreconnaissable- de l’éternité.

En rangeant des archives, je suis tombé l’autre jour sur une photographie en noir et blanc qui m’a marqué terriblement. Elle représentait un groupe d’une cinquantaine artistes du tout début du XXè siècle, tout sourire et vêtus de leurs plus beaux habits ; ils posaient visiblement pour un Salon des Beaux-arts de l’époque. La plupart des visages sont aujourd’hui des portraits devenus anonymes, mais leur sourire, comme s’ils ne se doutaient pas que l’oubli déjà les guettait… Les regardant, ils me regardent. Je suis comme avec eux. Et hors de moi la pensée de dire à celui-ci ou celui-là : « toi, la postérité ne te retiendra pas. » Je reste parmi eux et silencieux leur souhaite : « que votre sourire demeure ».

Une photographie, cela semble si réel, comme un reflet de nous-mêmes, comme la fine pellicule recouvrant une pensée familière.

Tout l’univers, 2016, acrylique sur papier, 24 x 17 cm

Tout l’univers, 2016, acrylique sur papier, 24 x 17 cm

Mais un tableau, lui, que dit-il ? Avant tout se dire : « la peinture c’est juste humain ». Ni instruments ni objectifs. Juste la main et la matière des couleurs. Dès lors, il ne s’agit pas de la même ressemblance. Le tableau ne rend pas l’intégralité du visible cela n’est pas son rôle, mais il apporte une part essentielle qui est celle du domaine de l’invisible. Il dit quelque chose du temps sans en faire partie, il semble le tenir à distance, il est à la fois dedans et dehors. A mesure qu’il prend forme et apparaît sous le pinceau du peintre, le tableau échappe à la course du temps, s’en met à l’écart et le laisse s’éloigner. C’est alors que se dévoile, comme entre-ouvert, l’au-delà du rideau du temps, la pénombre de l’éternité, ou son souvenir.

Sarek, 2018, acrylique sur carton, 20,5 x 22 cm

Sarek, 2018, acrylique sur carton, 20,5 x 22 cm

Et de tableau en tableau se laisser questionner par la peinture :

« Le visible dit-il vrai ? Que dit-il du réel ? »

Dès lors l’interrogation pourrait-elle devenir la suivante :

« Toi qui me regardes, que cherches-tu vraiment à voir dans cette petite surface rectangulaire joliment encadrée ?  Ne serais-tu pas venu jusqu’à moi pour te retrouver, sans te le dire tout-à-fait,  face à l’immémoriale présence ? »

L'atelier, Copyright : Ania Winkler / Hans Lucas

L'atelier, Copyright : Ania Winkler / Hans Lucas

Bien sûr, nous le savons aussi, le temps n’épargne pas la peinture, des craquelures apparaissent en fonction de l’âge de l’œuvre formant rides et strates entre les couleurs. Les modes et les styles de même changent de siècles en décennies, mais ce qui se dévoile est sans âge. Et qui sait ? Peut-être, sans mots.

 

La parole est silence.

Le silence est peinture.

Ginette chez les Mérots, 2014, acrylique sur papier, 45,5 x 34,5 cm

Ginette chez les Mérots, 2014, acrylique sur papier, 45,5 x 34,5 cm

Le peintre Pascal Pichon nous invite au travers de cette exposition à vivre et à voir une merveilleuse aventure : celle de retrouver nos « images persistantes » à la lumière des expériences de notre mémoire. Ouvrons la boîte … non plus celle, de bois précieux, pleine de photos, mais la boîte à tableau du peintre contenant tous ces morceaux d’humanité.

L’île aux trente cercueils, 2018, acrylique sur carton, 31 x 31 cm

L’île aux trente cercueils, 2018, acrylique sur carton, 31 x 31 cm

Des tableaux de petits, moyens et grands formats, comme découpés dans des bouts de toile, dans le papier ou le carton de la mémoire, comme des fragments déchirés de souvenirs. Parcelles et couleurs. Pour retrouver ce que nous avions égaré. Des œuvres enveloppées de la matière lointaine de nos hiers, brumeuse, enfouie.

 

Regardez, là, cette petite barrière que l’on entrouvre dans le bleu, et ce chien attendant qui nous regarde de son œil fidèle ; l’église du village et ses habitants à leurs occupations ; un paysage de campagne rose, un sous-bois vert où il fait un peu froid ; et une petite communiante agenouillée dans un or flouté.

Maison de la femme à barbe, 2016, acrylique sur carton, 17 x 22 cm

Maison de la femme à barbe, 2016, acrylique sur carton, 17 x 22 cm

Pas une idée, c’est simple et vrai.

Du souvenir que fait naître ou renaître une photographie ancienne

à la présence jeune que fait paraître une peinture du souvenir,

les œuvres de Pascal Pichon.

Images persistantes, parce que cela résiste, ne s’éteint pas.

Les souvenirs de l’éternité.

A l’Art Vivant !

 

Mathyeu Le Bal

 

Roma città aperta, 2015, Encre et acrylique sur carton, 11,5 x 16 cm

Roma città aperta, 2015, Encre et acrylique sur carton, 11,5 x 16 cm