Schraga Zarfin (1899-1975), Peinture, mon pays.

Publié le par LE BAL Mathyeu

Zarfin en 1965

Zarfin en 1965

Exposition de printemps

Schraga Zarfin

(Smilovitchi 1899-Rosny-sous-Bois 1975)

Peinture, mon pays

27 mars - 01 mai 2021

Cathédrale Saint-Corentin, Quimper, vers 1965, Huile sur toile, 81 x 60 cm.

Cathédrale Saint-Corentin, Quimper, vers 1965, Huile sur toile, 81 x 60 cm.

La petite ville de Smilovitchi appartenait autrefois à la Russie blanche, aujourd’hui elle fait partie de la Biélorussie. Située dans la région de Minsk, elle fut en particulier le lieu de naissance de deux peintres : Chaïm Soutine et Faïbich-Shraga Zarfin. Ce dernier est prénommé aussi Faïvel, dérivé de Faïbich (lumière en Yddish). Schraga en araméen va dans le même sens, signifiant clarté ou bougie. Devenir son nom, comme une prédestination, Zarfin provient de Tsarfat en hébreu qui signifie France. À la source de son nom y entrevoir tout un symbole, celui de l’incarnation centrale du rôle de la lumière qui deviendra si importante dans son œuvre. 

Jérusalem rouge, 1972, huile sur toile, 60 x 81 cm.

Jérusalem rouge, 1972, huile sur toile, 60 x 81 cm.

Zarfin est né en 1899 dans une famille d’industriels d’origine juive relativement aisée. Le père de Zarfin et celui de Soutine se fréquentaient. Zarfin passe ses heureuses premières années à Smilovitchi. Au bord de la rivière Volma, ce petit village était un véritable Schtetl propice à façonner l’âme du futur peintre vers un destin de couleurs. Les paysages de l’enfance creusant alors les sillons profonds dans le mystère intérieur de la sensibilité et de la perception. Très tôt, il dessine et couvre de ses croquis tout ce qui lui tombe sous la main : livres de comptes de son père, murs de la grande maison familiale… Pour décorer le théâtre du village, le jeune Zarfin peint un ange. Sans doute impressionné par les aptitudes de son fils, son père l’encourage à s’engager dans le métier de peintre. 

Groupe de paysans devant la mer, 1949, huile sur toile, 61 x 50 cm.

Groupe de paysans devant la mer, 1949, huile sur toile, 61 x 50 cm.

À SmilovitchiZarfin fréquente Soutine, alors élève à l'école de dessin de Vilna. Les deux hommes deviennent amis et partagent de précieux moments. Zarfin admirait Soutine, qui était son aîné de six ans. Trois ans plus tard, Zarfin intègre la même école. C’est là aussi que se formera le trio composé de Soutine, Krémègne et Kikoïne. Durant cette période d’apprentissage, Zarfin se plaît à écrire des poèmes. 

Zarfin (debout à droite) à Vilnus avec le peintre Michel Kikoïne (à gauche). 1913.

Zarfin (debout à droite) à Vilnus avec le peintre Michel Kikoïne (à gauche). 1913.

D’UNE CULTURE À L’AUTRE, DE LA TERRE À LA PEINTURE 

En 1914, Zarfin se rend en Palestine et quitte son pays et sa famille qu’il ne reverra plus. Il y cultive la terre, puis intègre à Jérusalem l’École des Beaux-arts « Bezalel » où l’on dispense un enseignement académique. En 1916, le peintre se rend régulièrement dans un Kibboutz. Il trouve essentiellement son inspiration dans les paysages environnant, puisant dans la sacralité qui s’en dégage. Il se forge une solide culture par la lecture et les rencontres, en vivant chichement et se privant beaucoup. En 1917, le peintre s’engage dans l’armée britannique, expérience qui ne l’empêche pas, à des heures volées, de se consacrer au dessin. C’est en 1920, libéré de ses obligations militaires, que Zarfin se livre entièrement à la peinture. Le gouverneur de Jérusalem organise une exposition à laquelle il est convié. À cette époque, sa peinture se rapproche du fauvisme.

Gerbe de fleurs, 1968, huile sur toile, 81 x 60 cm.

Gerbe de fleurs, 1968, huile sur toile, 81 x 60 cm.

En 1923, il quitte la Palestine pour Berlin. Il expose au Salon de la « Berliner Sezession ». En Allemagne il rencontre le peintre Max Liebermann et entre pour une année et demi dans son atelier, où il recevra ses précieux conseils. Sa peinture s’oriente alors vers une forme d’expressionnisme, marquée par les angoisses du temps et la découverte de la psychanalyse. 

Vallée et montagnes enneigées, 1972, huile sur toile, 81 x 60 cm.

Vallée et montagnes enneigées, 1972, huile sur toile, 81 x 60 cm.

C’est en 1924 que le peintre arrive à Paris, capitale des arts, qu’il ne quittera plus. Là, au contact des artistes, enrichi de ses visites dans les musées et les expositions il va tout réapprendre, allant jusqu’à détruire ses anciennes toiles. Il rencontre Sarah Bergher qui venait de Bessarabie. Elle deviendra son épouse en 1929. De leur union, naîtra une fille Liliane. À Montparnasse, en 1925, il retrouve son ami Soutine, mais ce n’est plus l’homme qu’il a connu douze ans plus tôt. Le maître tourmenté lui apparaît comme misérable, à l’allure dépravé. Pris d’effroi, Zarfin passe son chemin. Pour gagner sa vie, il exerce plusieurs petits métiers dont celui de tresseurs de souliers et peintre sur tissus à l’instar de Raoul Dufy, grand maître du genre. À Montparnasse, Zarfin est un homme discret, loin du tohu-bohu. Le peintre expose au Salon des Indépendants mais d’une façon générale, il fréquente peu les rendez-vous collectifs de la communauté artistique. En 1936, il renoue le contact avec Soutine. Les deux hommes de Smilovitchi se retrouvent le soir à Montparnasse dans l'atelier de Zarfin situé au 37 avenue Reille. Soutine l'encourage à délaisser ses pochoirs pour se consacrer exclusivement à la peinture. Zarfin admirait l'œuvre de Soutine, les deux peintres se retrouveront régulièrement jusqu’en 1939, date de la mobilisation de Zarfin pour la guerre.

La mer et les roches noires, bretagne, 1968, huile sur toile, 54 x 81 cm.

La mer et les roches noires, bretagne, 1968, huile sur toile, 54 x 81 cm.

En 1941, le peintre retrouve sa famille en zone libre à Lyon. Il continue à peindre et découvre la technique de la gouache. Le conservateur du Musée de Grenoble remarque son travail et lui organise une exposition. Durant cette période, il apprendra que son appartement parisien du 18e arrondissement a été vidé de son contenu par un propriétaire sans scrupule. Tableaux, meubles, outils de travails, documents, il ne reste plus rien. Le peintre se rapproche de Paris en 1947 et s’installe à Rosny-sous-Bois. L’apaisement retrouvé et avec le soutien de sa femme, il retrouve le chemin de la peinture.  

Assemblée de personnages, vers 1970, gouache sur papier marouflé, 65 x 50 cm.

Assemblée de personnages, vers 1970, gouache sur papier marouflé, 65 x 50 cm.

DES DÉCOMBRES AUX CATHÉDRALES 

Zarfin parcourt la France et notamment la Bretagne et la Normandie. Il est saisi par la beauté minérale des cathédrales et des intérieurs d’églises. Le peintre va alors se consacrer à la représentation de ces édifices chrétiens explorant ce paradoxe, lui qui est de tradition juive. C’est un riche sujet d’étude qui se révèle à lui, celui de la lumière qui se diffuse par les vitraux, un kaléidoscope de couleurs pénétrant l’intérieur de pierre des églises. Bleu-saphir, rouge-rubis, vert-émeraude… Il transpose celles-ci, par des jus de glacis, comme autant d’éclats d’un mystère. Peintre de paysages, il traite le motif dans un expressionnisme irradié, aux forts contrastes. Ses toiles sont travaillées dans des mono-tons nuancés de vert et de bleu. On y découvre l’attachement de l’artiste pour la terre et ceux qui la travaillent. Les couches de peintures sont appliquées avec finesse, détermination et légèreté. L’épaisseur devient mouvement. De la main du paysan à la main du peintre, de la terre à la matière. Sans doute, au regard de ses sujets, le peintre a -t-il regadé l’œuvre de Jean-François Millet.  

La terre, je la colle à mes doigts, et c’est toujours sur les lieux de l’âme que je vais m’abreuver. 

Xavier Grall 

Cathédrale de Rouen, 1959-60, huile sur toile, 100 x 81 cm.

Cathédrale de Rouen, 1959-60, huile sur toile, 100 x 81 cm.

De ses œuvres vivantes, par la spiritualité des couleurs, y deviner une passerelle avec celles du peintre Georges Rouault (1871-1958). Il y a aussi une correspondance visible avec Séraphine de Senlis (1864-1942), par les compositions florales, de végétaux qui s’élèvent dans des entrelacs de couleurs et de lignes sinueuses. Le peintre a retenu la leçon acquise du pochoir et de la peinture sur tissus. Tout est jeu de transparence et de translucidité, la lumière traverse et pénètre les couleurs comme une caresse. Dans les formes se laissent entrevoir parfois des personnages, tels des anges ou des âmes peuplant l’intérieur d’une nef silencieuse. Des transparences pour rendre visible l’invisible. Ou alors, serait-ce la nuit venue, ces âmes qui, telles des présences de couleurs chaudes, habitent le calme froid et minéral de la pierre ? Malgré quelques expositions de groupe auxquelles il participe, c’est dans la discrétion et hors des sentiers à la mode que le peintre travaille avec acharnement. En 1954, il se lie d’amitié avec Monsieur Rempenault, pharmacien à Rosny-sous-Bois, qui deviendra son principal mécène, se portant acquéreur de nombreuses œuvres. Sa peinture suscite un intérêt croissant auprès des collectionneurs du monde entier, le Musée National d’Art Moderne de Paris lui achète une toile intitulée Paysage

La source, vers 1970, gouache, 13,5 x 9 cm.

La source, vers 1970, gouache, 13,5 x 9 cm.

Son œuvre est à part, elle ne ressemble à aucune autre. Une lumière dans la nuit. Sans mots, une énigme à décrypter. Sans mots, une œuvre à la sacralité indite, mais d’une foi intime en la couleur. Et en bas de chaque toile la présence de cette signature marquée d’un rouge vif - Zarfin.

Deux fillettes en Bretagne,1968, gouache, 65 x 50 cm.

Deux fillettes en Bretagne,1968, gouache, 65 x 50 cm.

Scultpure de son ami Chaïm Soutine par Arbit Blatas. Montparnasse, square Gaston-Baty

Scultpure de son ami Chaïm Soutine par Arbit Blatas. Montparnasse, square Gaston-Baty