Exposition en préparation
Maurice Le Scouëzec (1881-1940)
"Montparnasse ne serait pas Montparnasse sans lui"
25 novembre-23 décembre 2010
Mon Ami Le Scouëzec
"Mon ami Le Scouëzec viens de m'écrire. Et sa lettre, partie il y a plus d'un mois, de la brousse sénégalaise, ne m'a rejoint que ce matin.
J'ai connu Le Scouëzec à Montparnasse. C'est ce grand garçon aux yeux perçants, au long nez, sous un plus large feutre, un feutre de planteur ou de conquérant espagnol. Une chemise Khaki, au col ouvert, aux manches retroussées sur ses bras nus et musclés, été comme hiver. Et des jambes de cavalier dans des pantalons de velours serrés jusqu'aux genoux dans des bottes lacées qu'il ne quitte ni quand il dort, ni quand il nage, ni même quand il peint. Car, vous pensez bien que Le Scouëzec est peintre. De lui, ces paysages africains sur lesquels pèse une atmosphère de plomb, dans une lumière d'ophtalmie, et que vous avez vus et admirés à la dernière exposition d'art colonial et dans d'autres Salons.
Ces toiles, plus véridiques que celles de Gauguin, sans littérature, dénuées de tout pathétisme, ne vivent que par l'exacte vérité. Elles ont valu à Le Scouëzec une bourse pour un voyage où cela lui plaisait. Et il s 'est embarqué avec ses bottes, un foulard de rechange, et sa femme pour veiller au restant des bagages, c'est-à-dire des toiles, des tubes, des brosses.
C'est à quinze ans que Le Scouëzec, pour avoir avoué à ses parents qu'il voulait devenir peintre, fut embarqué par eux sur un quatre-mâts qui portait du nickel en Nouvelle-Calédonie.
A Sydney, il « brûla le dur », c'est-à-dire qu'après s'être enfoncé dans les terres, il laissa partir son bateau. Ramassé, crevant de fain, il fut embarqué pour Calcutta, d'ou il partit à pied, pour Delhi...
Rapatrié, ses parents, qui l'attendaient à Marseille, le rembarquent pour Bornéo...Cette fois, défense de mettre pied à terre aux escales. Il est mis à la soute de chauffe. Dans un port qu'il ne connaissait pas, il saute à la mer, gagne un autre navire qui le dépose au Venezuela. Il longue la côte. Il se fait embaucher comme contrebandier de caoutchouc.
Il parcourt cinq cent kilomètres de forêts, spécule, échange de la gomme contre des chemises de couleurs qu'il vend aux Indiens, fait fortune, est volé, s'embarque comme soigneur de chevaux sur un bateau qui en transporte au Texas, deviens cow-boy et découvre le paradis du Mexique, où l'on est facilement tué, mais où les femmes nicoas, aroes les marches dans la forêt, se disputent pour lui enlever délicatement, avec des aiguilles d'acacia, les dangereux petits parasites qui se logent sous les ongles.
Il use de toute les armes : machetes contre la liane et le serpent, la carabine contre le lion, en Afrique, où Le Scouëzec se trouve, pour la première fois, l'année suivante. La carabine, quand on veut s'amuser à être cruel. Car le lion n'est pas dangereux, du moins le jour.
S'il se lève en clignant des yeux, on a qu'à taper un peu fort dans ses mains : le mâle donne un coup de croc à sa lionne, et ils se sauvent, la queue entre leurs respectives jambes...
Puis, de nouveau, en Amérique, le lazzo, la riatta contre le taureau sauvage, le couteau à gaine contre le puma, et les poings contre toutes sortes d'hommes. Tempêtes, prisons, bravi, Indiens, ventes d'orge, de pétrole, de terres.
A quarante-cinq ans, enfin, ayant un peu, pas beaucoup d'argent, Le Scouëzec cloua un ancien séchoir de blanchisseuse perché au dessus d'un hôtel meublé de la rue Delambre, où, en attendant de réaliser sa seconde ambition, un phalanstère au Mexique, il recueillit comme une vieille des chats pelés, toutes les abandonnées de la vie, sans condition, sa femme mettant un sourire et lui, de l'ordre, pas trop dompteur, malgrè ses bottes tannées, taillées, cousues par lui dans la pampa. Sur les murs, des toiles de tous les pays qu'il avait traversés. Dans ce coin, une verdure des tropiques, sous quoi on semblait, assis, vivre dans l'ombre d'une forêt ; là une mer, un océan, des bateaux. Ici, un ranch. Là, l'Amazone ; en face, Sumatra...
Et la vie s'écoulait, douce et tranquille. Le Scouëzec devenait célèbre à Montparnasse et chez les amateurs. Les grandes galeries exposaient ses oeuvres.
Et voilà qu'une bourse lui tombe sur dessus et qu'il s'en retourne dans la brousse.
-Poste restante Dakar.
C'est l'adresse qu'il laissa à ses amis.
C'est de par là, d'un peu plus loin sans doute, que je viens de recevoir sa lettre..."
Et voici la lettre de Le Scouëzec :
« Mon cher ami, voilà deux mois que je suis ici, et les plus gros incidents de cette vie d'aventures ont été dysenteries, un peu de fièvre et une écharde au doigt... Heureusement les sauvages de l'endroit avaient de l'eau oxygénée...
« Depuis que j'ai la consciente perseption de ce qui m'entoure, on cherche, par tous les moyens, à nous faire croire et admettre que ce qui est noir est blanc, et réciproquement.
« C'est ce qui m'arrive partout. On veut me faire croire que les pays que j'ai traversés sont bizarres. C'est encore la France qui l'est le plus. Dans le fond de l'Australie, il y a les ascenseurs et je n'en ai pas rue Delambre. En pleine brousse, les noirs éclairent leurs cases à l'électricité, et je ne pense pas que ce soit ainsi dans tous les villages d'Europe ou même de France.
« Je ne sais plus où, on m'a fait faire mille kilomètres pour me montrer un singe aux yeux châtains, comme vous et moi. Un jour, je dormais sur un banc. Etais-je à Santiago ? Un individu s'approcha de moi, me parla, me proposa de faire sauter un viaduc sur lequel devait passer un train rempli d'or.
« Je me réveillai tout à fait. Nous étions en Champagne et je dus arracher des mains de l'homme une arme dont il voulait me frapper parce que je ne lui répondais pas oui tout de suite.
« Oui, au Mexique, on a des souliers en peau de singe ; au Venezuela, les vêtements s'imperméabilisent à cause de la gomme qu'on porte, et on a un peu plus chaud. Mais on se grise le dimanche, comme partout en province, ou bien on raconte des histoires.
« J'ai fait un mois de marche pour aller chercher, dans un sanctuaire de je ne sais plus quel dieu, quelques kilos de pierre précieuses. Serpents : on n'a pas qu'à leur marcher dessus. Un chien auquel on marche sur la queue vous mord aussi bien qu'à Deauville.
« Rentré à Paris, je cours chez un joallier, il me dit que chacune de mes pierres vaut quelques francs. Voilà!... J'avais cru devenir Monte-Cristo... Alors, j'ai donné mes pierres à toutes mes petites camarades.
« Et l'une d'elles me dit, la semaine suivante, qu'un autre joaillier lui avait donné deux mille francs de la sienne. Ma cargaison était d'émeraudes brutes. J'en avais pour plusieurs dizaines de millions. J'avais tout donné.
Vous voyez bien que les aventures, les vraies, n'arrivent qu'à Paris.
« C'est pourquoi, aimant enfin la vie tranquille, je reste encore pour quelque temps dans ma brousse, à un mois de tout lieu habité.. Sauf deux sous de fièvre qui donne parfois de jolies illusions, tout ici est beauté, calme, volupté...spirituelle.
« Si vous étiez gentil, vous m'enverriez quelques livres de Jules Verne ... »
Cette exposition présentera une sélection d'oeuvres sur papier de la période Montparnasse (1918-1928).