Galerie de Bretagne, été 2019
Maurice Le Scouëzec (1881 – 1940) Au port d’Anvers 1924 Huile sur papier marouflé sur toile 75 x 96 cm
Maurice Le Scouëzec (1881 – 1940) Bol et nappe blanche Février 1923 Huile sur papier marouflé 50 x 65 cm
Lucien Simon (1861-1945) Jour de course à Pont-l'Abbé, 1925 Gouache sur papier Signée en bas à droite 45 x 60 cm
Claude-Emile Schuffenecker (1851-1934) La clairière Huile sur toile Monogrammé en bas à droite 65 x 81 cm
INVITATION VERNISSAGE
"L'horizon du grand pays recule sans cesse au fond de l'espace et du temps.
C'est le pays où l'on s'éloigne toujours ensemble,
et l'on ne parvient en un lieu désert que pour en trouver d'autres plus beaux."
André Dhôtel, Le Pays où l'on n'arrive jamais.
Chers amis de la galerie,
Les beaux jours sont là et avec eux l'exposition de l'année consacrée à un peintre d'aujourd'hui. La galerie Les Montparnos est fort heureuse de vous convier à la découverte des oeuvres de Pascal Pichon, Le Pays où l'on n'arrive Jamais, lors du vernissage qui se tiendra le
jeudi 23 mai à partir de 18 h 30.
Un beau catalogue de 80 pages sera publié pour cette occasion et disponible à la galerie.
Rendez-vous donc le jeudi 23 mai à la galerie, en présence du peintre et de son oeuvre, et ainsi partager ensemble un merveilleux moment autour d'une peinture aussi sensible que surprenante sous le ciel d'un bonheur retrouvé.
Pascal Pichon, Le Pays où l'on n'arrive jamais
Exposition événement
Pascal Pichon
Le Pays où l'on n'arrive jamais
23 mai - 27 juin 2019
Quelles images garde-t-on du temps qui passe ? Celles qui, par un incisif mystère, se gravent dans la mémoire, pareil à une étrange boîte ou caverne précieuse … extraordinaire jardin.
Pourquoi une image plus qu’une autre ? Telle sauvée, arrachée au flot de l’oubli, inscrite pour toujours dans ces profondeurs de nous-mêmes. Image qui nous fait esquisser ici un discret sourire, là verser une larme, à la voir ou non, lorsqu’elle remonte à fleur de notre esprit. Il en est de même des vieilles photographies. Quand a-t-elle été prise, et par qui ? Comment s’en souvenir ? Etait-ce lors d’une fête, d’un moment heureux en famille ? Qui sont ces visages si jeunes que l’on a aimés ou qui nous ont marqués ? Ce paysage, une promenade ; avec qui ? Et d’où vient que cette autre photographie fasse advenir une sensation, fasse parvenir à l’âme la caresse d’un parfum, la saveur d’un plat, les couleurs d’une musique ?
« Image persistante », « image retrouvée » ?
Qui n’a pas vécu ce moment, en famille ou entre amis, lorsque l’on ressort de l’étagère de la bibliothèque ce vieil album photo, de l’armoire cette boîte d’acajou ou d’ébène de nacre marqueté ? À tourner les pages au papier de soie ou puisant dans le vrac au milieu des sépias, on s’immerge lentement dans une nostalgie d’où refont surface ces moments qu’on avait cru irrattrapables. Les clichés, si facettes de nous-mêmes, de notre histoire, ont jauni. Certains êtres à nouveau là, devant nous, ne sont plus. Tous ces moments, heureux ou moins, réapparaissent comme mares ou étangs de ciel bleu, dans le gris épais de la mémoire.
Tourner une à une les pages de l’album comme pour sentir au bout des doigts les années et les heures, frôler les rebords du temps. Que dit de nous cette cotonneuse satisfaction de baigner dans le vague à l’âme des bonheurs passés ? Sont-ce les souvenirs qui reviennent à nous ou nous qui recherchons la douleur douce de revivre un passé comme si rien n’avait passé ?
Mais ici, il s’agit d’autre chose. De peinture, les images sont des tableaux.
Il n’est plus question de la nostalgie du temps qui passe et nous échappe mais la rencontre avec une matière. Et la matière a sa propre volonté. Et du tableau émane une présence qui persiste. Ainsi, imaginons un artiste s’attachant à peindre les souvenirs. Non pas des souvenirs personnels mais la texture de la mémoire elle-même, celle qui touche chacun au plus profond. Peindre jusqu’aux brumes du temps lointain semblable aux brumes des demains incertains et savoir déjà que l’œuvre y offrira intact ses clartés.
Et la matière pour toute éternité ?
A ressentir par la peinture le souvenir des avenirs.
Souvent réapparait à mon esprit ce tableau de Monet Effet de vent sur les peupliers, de 1891. Comment la main du peintre fixe pour l’éternité le souvenir clair et précis de ce souffle qui fait se plier les branches et trembler les feuilles dans les arbres. 130 ans après, on en frissonne encore, comme ces peupliers et leur feuillage qui garderont demain toujours intact cet instant porté par le peintre jusqu’à l’intemporel. Par cet instant saisi, recueillir sur la surface d’une toile l’essence du temps lui-même.
Aucune nostalgie donc quand il est question d’un tableau, fût-ce quand il veut évoquer un souvenir, car il montre tout autre chose que le contenu de la belle boîte à image ou du vieil album de l’étagère, à savoir la trace de quelque chose qui ne meurt pas. Un peu comme si l’éternité pour apparaître fugacement, murmurait au tableau tel instant choisi qu’il s’agirait de peindre et inscrire dans la matière par les couleurs.
L’instant dans le temps de la toile en autoportrait –irreconnaissable- de l’éternité.
En rangeant des archives, je suis tombé l’autre jour sur une photographie en noir et blanc qui m’a marqué terriblement. Elle représentait un groupe d’une cinquantaine artistes du tout début du XXè siècle, tout sourire et vêtus de leurs plus beaux habits ; ils posaient visiblement pour un Salon des Beaux-arts de l’époque. La plupart des visages sont aujourd’hui des portraits devenus anonymes, mais leur sourire, comme s’ils ne se doutaient pas que l’oubli déjà les guettait… Les regardant, ils me regardent. Je suis comme avec eux. Et hors de moi la pensée de dire à celui-ci ou celui-là : « toi, la postérité ne te retiendra pas. » Je reste parmi eux et silencieux leur souhaite : « que votre sourire demeure ».
Une photographie, cela semble si réel, comme un reflet de nous-mêmes, comme la fine pellicule recouvrant une pensée familière.
Mais un tableau, lui, que dit-il ? Avant tout se dire : « la peinture c’est juste humain ». Ni instruments ni objectifs. Juste la main et la matière des couleurs. Dès lors, il ne s’agit pas de la même ressemblance. Le tableau ne rend pas l’intégralité du visible cela n’est pas son rôle, mais il apporte une part essentielle qui est celle du domaine de l’invisible. Il dit quelque chose du temps sans en faire partie, il semble le tenir à distance, il est à la fois dedans et dehors. A mesure qu’il prend forme et apparaît sous le pinceau du peintre, le tableau échappe à la course du temps, s’en met à l’écart et le laisse s’éloigner. C’est alors que se dévoile, comme entre-ouvert, l’au-delà du rideau du temps, la pénombre de l’éternité, ou son souvenir.
Et de tableau en tableau se laisser questionner par la peinture :
« Le visible dit-il vrai ? Que dit-il du réel ? »
Dès lors l’interrogation pourrait-elle devenir la suivante :
« Toi qui me regardes, que cherches-tu vraiment à voir dans cette petite surface rectangulaire joliment encadrée ? Ne serais-tu pas venu jusqu’à moi pour te retrouver, sans te le dire tout-à-fait, face à l’immémoriale présence ? »
Bien sûr, nous le savons aussi, le temps n’épargne pas la peinture, des craquelures apparaissent en fonction de l’âge de l’œuvre formant rides et strates entre les couleurs. Les modes et les styles de même changent de siècles en décennies, mais ce qui se dévoile est sans âge. Et qui sait ? Peut-être, sans mots.
La parole est silence.
Le silence est peinture.
Le peintre Pascal Pichon nous invite au travers de cette exposition à vivre et à voir une merveilleuse aventure : celle de retrouver nos « images persistantes » à la lumière des expériences de notre mémoire. Ouvrons la boîte … non plus celle, de bois précieux, pleine de photos, mais la boîte à tableau du peintre contenant tous ces morceaux d’humanité.
Des tableaux de petits, moyens et grands formats, comme découpés dans des bouts de toile, dans le papier ou le carton de la mémoire, comme des fragments déchirés de souvenirs. Parcelles et couleurs. Pour retrouver ce que nous avions égaré. Des œuvres enveloppées de la matière lointaine de nos hiers, brumeuse, enfouie.
Regardez, là, cette petite barrière que l’on entrouvre dans le bleu, et ce chien attendant qui nous regarde de son œil fidèle ; l’église du village et ses habitants à leurs occupations ; un paysage de campagne rose, un sous-bois vert où il fait un peu froid ; et une petite communiante agenouillée dans un or flouté.
Pas une idée, c’est simple et vrai.
Du souvenir que fait naître ou renaître une photographie ancienne
à la présence jeune que fait paraître une peinture du souvenir,
les œuvres de Pascal Pichon.
Images persistantes, parce que cela résiste, ne s’éteint pas.
Les souvenirs de l’éternité.
A l’Art Vivant !
Mathyeu Le Bal
En préparation
Le livre de l'exposition
Le Livre de l'exposition est disponible à la galerie : 15 euros.
événement : Invitation vernissage
Mars 2017, Colette Chasseigneaux nous quitte. Elle était pour tous l’une des dernières figures héroïques du Montparnasse de l’entre-deux-guerres. Peintre mais également modèle, avec sa sœur Solange, pour les plus importants artistes de l’époque, les fameuses « heures chaudes » du quartier de l’art moderne. Deux sœurs, très belles, qui tant symbolisaient la soif de liberté de cette génération incroyable. Colette sera ainsi la dernière compagne du peintre Auguste Clergé, le Monsieur Loyal du Montparnasse, silhouette incontournable et légendaire de ceux qu’on appellera bientôt « les Montparnos », le créateur des expositions dans les cafés et brasseries, celui qui faisait se rencontrer les peintres et sculpteurs. Auteur d’une des peintures des colonnes de la brasserie La Coupole. Peintre des bistrots et cabarets, du cirque, de « la Zone » de Paris, dont l’œuvre toute entière aura été consacrée à restituer la vie des braves gens emprunte d’une pâte d’humanité vraie.
Colette, Solange et Clergé, une vie à trois pour la peinture, un atelier commun qui se trouvait au 8 rue de la Grande Chaumière, adresse historique. On le sait, c’est dans cet immeuble que Modigliani passera les 3 dernières années de sa vie fulgurante avec sa compagne Jeanne Hébuterne. C’est ici aussi qu’un peu plus tôt Gauguin avait vécu dans l’atelier d’Alphonse Mucha.
En ouvrant, presque un siècle après les années 20, la porte de cet atelier, rien n’avait changé, tout dans son jus était là, conservé dans cette atmosphère d’histoire de l’art, à peine couverte de poussière ; à y respirer encore tout ce qui fit l’épopée du carrefour Vavin. Au pied de l’immeuble, une petite cour intérieure avec son banc de fer forgé pour s’asseoir, le temps de regarder le ciel, et le grand arbre pour écouter et atteindre la grande verrière de l’atelier de si vétuste authenticité… A dire au plus juste, une page encore ouverte du livre de ce qu’on appelle aujourd’hui l’Art Moderne. Dans l’atelier étaient là, entreposées, les œuvres des peintres Auguste Clergé et Colette Chasseigneaux ainsi que celles de leurs amis peintres, sculpteurs et photographes de l’Ecole de Paris.
Par sa nouvelle exposition, la galerie Les Montparnos vous invite à découvrir l’histoire d’un lieu extraordinaire. Rue de La Grande Chaumière, un des noms les plus mythiques de l’histoire du Montparnasse. Le célèbre atelier de l’Académie, au 14 de la rue, vient d’être vendu au grand dam de tous et chacun, laissant son avenir incertain. Et comme en écho, l’atelier du 8 disparaissait en même temps.
C’est lui qui vous ouvre sa porte une dernière fois par cette exposition. Les œuvres, ainsi que des photographies et documents y seront présentés. A cette occasion un riche catalogue sera proposé racontant l’histoire de cet atelier, ultime témoin de ce que fut le quartier quand Paris était la capitale mondiale de l’art. Un événement.
Quelques oeuvres à découvrir
Et bien d'autres encore...
8 rue de La Grande Chaumière, les peintures du dernier atelier
Auguste Clergé (1891-1963)
Colette Chasseigneaux (1925-2017)
Les Amants du Parnasse
C’est l’histoire d’un atelier. D’une adresse située au n°8 rue de la Grande Chaumière, à deux pas de l’illustre académie de modèles vivants. Au seuil de la porte d’entrée de l’immeuble, sur la façade, une plaque en marbre sur laquelle on peut lire « Atelier Gauguin & Modigliani ». Un bâtiment regroupant plusieurs ateliers. En 1893 le peintre Alphonse Mucha invite Gauguin à partager son atelier. Plus tard, de 1917 à 1920, le couple Jeanne Hébuterne et Modigliani auront leur atelier-logement dans l’immeuble. C’est ici que Modigliani va passer les derniers jours de sa vie.
En franchissant la porte on entre dans un petit couloir, un peu plus loin on découvre une cour. Un lieu clos, envoûtant, magnétique. Dans cette cour, en levant les yeux, on aperçoit des verrières comme autant de possibles d’ateliers. Plus bas un petit carré de verdure où trône un socle massif de pierre taillée et d’autres imposants blocs de pierre éparpillés dans l’herbe tels les vestiges abandonnés d’une cité oubliée. Un grand arbre habille majestueusement de vert cette construction d’âme. A l’ombre de l’arbre, une table de jardin en fer forgé, deux ou trois chaises. Au fond de la cour, la cage d’escalier, il fait sombre, l’ambiance est crépusculaire, diffuse, un quelque chose d’enfoui. On entre dans un secret.
On monte les marches de cet escalier, des marches d’un bois vieux, craquant, épuisé, la main longeant la rampe qui lente serpente dans cet obscur à peine éclairé par le vasistas du dernier étage. Les murs décrépis ou crépis de lambeaux ajoutent un sentiment presque peu rassurant. Une atmosphère qui rappelle « Le philosophe » de Rembrandt, vieil homme assis près de sa fenêtre méditant au pied d’un escalier à vis qui monte. Invitation silencieuse proposée à l’esprit à s’engager dans une montée des marches. Arrivé au deuxième étage, au fond du couloir, une porte. Se saisir de la poignée, la tourner en écoutant clencher le mécanisme de la serrure puis pousser, dans un grincement, cette porte de vétusté. Soudain, une lumière provenant de l’intérieur oblige l’œil à passer de l’ombre à la clarté. Et là, se dévoile un atelier.
Une vision d’un délabrement merveilleux. On remarque en premier lieu la verrière imposante qui domine la pièce de toute sa hauteur et l’inonde de jour. Du dehors monte le grand arbre de la cour. Un air poussiéreux enveloppe ce décor d’une épaisseur sentimentale. On est accueilli d’entrée de jeu par un vieux poêle à charbon, un « Godin » assis là tel un impassible chien de placide garde. Au sol, le parquet gondolé, éventré, fourbu, a les lignes de bois d’un poème. Affaissé par le poids du temps, il semble s’effondrer et s’enfoncer dans l’appartement du dessous. Du sol au plafond… Le toit à présent ; c’est une tôle ondulée, parsemée de trous et de fissures, d’où l’on imagine les jours de pluie le bruit rassurant du ploc-ploc des gouttes d’eau qui tombent et entrent comme fentes de ciel trouvant refuge dans l’atelier à travers le plastique usé. Parlons du grand mur ; c’est une toile de peinture vierge qui servait d’isolant de fortune et camouflait les cicatrices du béton. Une tapisserie brûlée par les âges affaissés. Au fond de la pièce unique, une mezzanine qu’on atteint par un vénérable escalier en bois. Le mobilier est succinct, un buffet où se regardent les objets d’une vie, les souvenirs témoignant de voyages, une conque, un vase polynésien, un coq Portugais. Une immobilité de vivants sentiments. Deux lits rudimentaires, un en haut de la mezzanine, l’autre en bas. Dernière particularité, un détail peut-être à ne pas oublier… des tableaux… une foule de tableaux…
Par paquet… Par paquet partout, empilés les uns sur les autres, superposés de façon anarchique
dans les étagères, entassés dans les racks et grilles aléatoirement prévus à cet effet. Un à-ras-bord rangé comme peut dans tous les coins, tous les meubles, tous les restes d’espaces libres. Des tableaux partout. Sur les murs, bien-sûr, accrochés selon un ordre mystérieux. Des tableaux posés par terre, le tout baignant dans une aura épaisse de poussière accumulée.
C’est l’histoire d’un atelier au n°8, rue de la Grande Chaumière.
Et on est à Montparnasse. En ouvrant cette porte sur des décennies passées, tout est là, tel, comme si rien n’avait bougé. Au dehors, le monde a changé à une allure folle, en un demi-siècle plus qu’en mille ans, et les artistes ont quitté le carrefour Vavin emportant avec eux les éclats de la lumière de l’esprit. Montparnasse est retombé dans l’ordinaire, aujourd’hui d’un quartier de bureaux. Les terrasses de cafés sont vides ou banales. Hier s’est évaporé dans quelque éther. Mais là, au 8 rue de la Grande Chaumière, tout est encore là, préservé dans la poussière de l’intemporel. Les heures semblent s’être renversées. Ce dehors des aujourd’huis modernes vieillit si vite quand cet intérieur croulant, restitue pour toujours les embrasements d’une jeunesse hors limite. Hier était si jeune.
Sur les tableaux, on distingue deux signatures, celle d’Auguste Clergé et celle de Colette Chasseigneaux. Tout autour se laisse découvrir d’autres noms, ceux des amis, le groupe constitutif du cœur chaud de ce Montparnasse de l’entre-deux-guerres, Krémègne, Volovick, Naiditch, Le Scouëzec, Schreter, Eberl… Ce lieu était l’atelier du couple de peintres Auguste Clergé et Colette Chasseigneaux. Ils y ont vécu avec Solange Chasseigneaux la soeur de Colette. Un peintre et les deux frangines inséparables.
Au tout début Clergé était marié à Alice Reichen, comédienne de la troupe des Pitoëff, ils se sont installés dans cet atelier tous les deux durant la Seconde Guerre. Colette est alors arrivée vers 1948, elle était modèle et posait pour les peintres. Clergé tomba sous le charme de sa beauté, elle avait 34 ans de moins que lui. L’atelier était partagé entre les répétitions de théâtre d’Alice, et Colette qui posait pour Clergé. Ils vivront deux-trois ans ainsi tous les trois. Mais peu à peu les jalousies s’insinuent tandis que ce qui devait arriver, advint, Clergé et Colette tombent amoureux l’un de l’autre, plongeant Alice dans un chagrin dévastateur. Elle quitta l’atelier laissant Clergé et Colette dans ce décor théâtral. Solange, la sœur de Colette, arriva peu après. Les deux frangines posaient pour les plus importants peintres de l’époque et s’improvisèrent pour ceux-ci courtières en art afin d’améliorer le quotidien d’une vie d’artiste. La grande beauté des deux sœurs était bien connue des peintres et des sculpteurs. Et plus qu’une modèle, Colette était peintre. Initiée en grande partie par Clergé, ils vont bientôt peindre ensemble. Colette, muse, modèle et peintre. L’atelier devient l’écrin de leur passion, une histoire d’amour, d’art, d’atelier. De Jeanne à Modi, de Colette à Clergé. Une adresse, un abri en marge des bruits des boulevards et du carrefour où le temps défile et fuit sans cesse. Un atelier comme un lieu ceint où l’on préserve l’esprit de la brutalité des dehors. Là, en secret, peuvent s’épanouir les âmes aimantes.
Une tanière suspendue au Mont Peinture, les Muses y dansent encore fêtant les amants du Parnasse. De l’amour à la toile, de la toile aux chatoiements de l’éternité. Peut-on espérer plus beau motif pour un peintre que l’amour lui-même. Quel regard porte Clergé sur Colette lorsqu’il la peint ? Un regard amoureux, un regard de peintre ? Et quel regard porte Colette sur Clergé lorsqu’elle pose nue face à lui ? Un regard de modèle, de peintre, un regard d’éprise ? Dis-nous, Atelier, qu’as-tu vu de leur complicité ?
Une matière faite de sentiments. Dans les œuvres des deux peintres s’observent les traces d’un lien indissociable. Serait-ce un tableau à deux mains ? Les mêmes couleurs, le même chevalet, une palette pour deux. Chasseigneaux signe Clergé et Clergé signe Chasseigneaux ? Tout se fond et s’enchaine dans les couleurs lorsque la touche et le trait se ressemblent, se rassemblent, se retrouvent. C’est à elle, c’est à lui. C’est lui, c’est elle. Ensemble dans l’atelier, ensemble dans le tableau. Les mêmes sujets, paysages, modèles ou amis de passage. Bien sûr le maître c’est Clergé, mais les aquarelles de Colette, quand même ! … Ses fondus, ces tons sans dessins, ses intuitions chromatiques, ces rivages de Tahiti, ses lunes qui éclairent les plaines, ces couchers de soleil sans couleur, au lavis d’encre qui illumine les campagnes. Mais Clergé ! … Ces cirques, ces zones, ces bistrots, l’humanité peinte, une peinture aux accents, au caractère, aux saveurs populaires. Les paysages de Paris, de Provence, de Bretagne et de tout ces ailleurs traversés. Dans l’atelier c’est l’amour qui tient la pose.
Le peintre Clergé partage la fin de sa vie entre cet atelier et celui de La zone Porte des Lilas, il décède à l’hôpital Laënnec en 1963, laissant l’atelier à Colette et Solange. Et la vie continua…
Colette est décédée en mars 2017 Solange un peu avant en 2009.
Quelle émotion ce fut d’ouvrir cette porte et de découvrir plus d’un demi-siècle plus tard que rien n’avait changé. Pendant longtemps Colette se lavait à l’eau froide comme s’il fallait que ce lieu soit celui d’un monde qui ne change pas. Cette poussière… quand les êtres disparaissent, l’amour disparait-il avec eux ? Cette étrange sensation en entrant dans l’atelier que l’amour n’avait pas quitté les lieux, qu’il était encore là, attaché à cette espace, accroché aux objets, si présent dans les tableaux. Aujourd’hui l’atelier a été vendu, et cette histoire constitue un chapitre tout entier du grand livre du Montparnasse de légende. Aussi la Galerie Les Montparnos est incroyablement heureuse de vous raconter le récit de cet atelier, l’histoire de Clergé et de Colette, de Solange et de leurs amis. Parce que notre Montparnasse si aimé réclame plus que jamais des pages à sa propre mémoire. Parce que ce Montparnasse c’était Paris capitale des arts. Parce que ses rues avaient pour nom ses artistes qui ont fait l’histoire. Ainsi, autour d’une sélection étonnée d’œuvres et de documents d’époque, cette exposition restituera t’elle cette atmosphère où tournoient encore les muses des Amants du Parnasse.
Mathyeu Le Bal